Après la pandémie : Le secteur touristique sénégalais enregistre une reprise record avec 1,8 million de visiteurs en 2024

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Le tourisme sénégalais célèbre un retour en force spectaculaire après les années difficiles de la pandémie de COVID-19. Avec 1,8 million de visiteurs enregistrés depuis le début de l’année 2024, le pays établit un nouveau record historique, dépassant de 15% les chiffres de 2019, année de référence pré-pandémique. Cette performance remarquable, annoncée lors des Assises Nationales du Tourisme tenues à Dakar en octobre dernier, confirme la résilience d’un secteur désormais considéré comme un pilier majeur de l’économie sénégalaise.

Un rebond spectaculaire porté par des facteurs multiples

La reprise fulgurante du tourisme sénégalais s’explique par une conjonction de facteurs favorables. « La stabilité politique du pays, renforcée par une transition démocratique réussie, constitue un atout majeur dans un contexte régional parfois incertain », analyse Mamadou Racine Sy, président de la Fédération des Organisations Patronales de l’Industrie Touristique du Sénégal (FOPITS). « Le Sénégal est perçu comme une destination sûre, facilement accessible, où les visiteurs peuvent profiter sereinement de leurs séjours. »

La connectivité aérienne améliorée joue également un rôle déterminant dans cette performance. L’aéroport international Blaise Diagne de Diass (AIBD) accueille désormais 28 compagnies aériennes régulières contre 19 en 2019. Des transporteurs majeurs comme Emirates, Turkish Airlines et Ethiopian Airlines ont augmenté leurs fréquences, tandis que de nouvelles liaisons directes ont été établies avec des marchés émetteurs stratégiques. « L’ouverture en janvier 2024 de la ligne directe New York-Dakar par United Airlines a considérablement dynamisé le marché nord-américain, avec une progression de 43% des arrivées en provenance des États-Unis », précise Alioune Sarr, ministre du Tourisme et des Transports aériens.

La diversification de l’offre touristique constitue un autre facteur explicatif majeur. Au-delà du balnéaire traditionnel, le Sénégal a développé de nouveaux segments comme l’écotourisme, le tourisme culturel, le tourisme sportif et le tourisme d’affaires. « Nous ne sommes plus perçus uniquement comme une destination soleil-plage », souligne Astou Beye, directrice générale de l’Agence Sénégalaise de Promotion Touristique (ASPT). « Les circuits dans le Sine Saloum ou en Casamance, les festivals culturels comme le Saint-Louis Jazz ou le Festival des Arts Nègres, les compétitions sportives internationales et les grands congrès contribuent à attirer une clientèle diversifiée tout au long de l’année. »

Enfin, les investissements massifs réalisés pendant la crise sanitaire portent aujourd’hui leurs fruits. Le Fonds de Relance et de Résilience Touristique (FRRT), doté de 50 milliards de francs CFA (environ 76 millions d’euros), a permis la rénovation de nombreux établissements et le développement de nouvelles infrastructures d’accueil. « La pandémie a paradoxalement constitué une opportunité pour monter en gamme et repenser notre offre », estime Youssou Ndiaye, propriétaire du groupe hôtelier SenEcoLodge.

Une évolution notable des marchés émetteurs

La cartographie des visiteurs internationaux révèle des évolutions significatives. Si la France demeure le premier marché émetteur avec 28% des arrivées, son poids relatif diminue au profit de nouveaux marchés en forte croissance.

Les touristes en provenance d’autres pays africains représentent désormais 22% du total, contre 15% en 2019. « La classe moyenne africaine, en pleine expansion, découvre le Sénégal comme destination de loisirs ou d’affaires », observe Astou Beye. « Les visiteurs nigérians, ivoiriens et marocains sont particulièrement nombreux, attirés par notre offre culturelle, notre gastronomie et nos infrastructures de qualité. »

L’Europe hors France connaît également une progression notable, notamment l’Allemagne (+24%), l’Espagne (+31%) et les pays scandinaves (+47%). Les marchés nord-américain et asiatique, encore modestes en volume, affichent les taux de croissance les plus spectaculaires, respectivement +43% et +68% par rapport à 2019.

« Cette diversification des marchés émetteurs nous rend moins vulnérables aux aléas conjoncturels », analyse Abdoulaye Fall, économiste spécialiste du tourisme à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. « Elle témoigne également de l’attractivité croissante du Sénégal au-delà de sa sphère d’influence traditionnelle. »

Autre évolution notable : l’allongement de la durée moyenne de séjour, qui passe de 7,2 nuits en 2019 à 8,5 nuits en 2024. « Les touristes combinent désormais plus facilement plusieurs expériences au sein du même voyage », explique Youssou Ndiaye. « Un circuit classique associe souvent quelques jours à Dakar, une escapade à Saint-Louis ou dans le Sine Saloum, et un séjour balnéaire sur la Petite Côte ou en Casamance. »

Un impact économique et social considérable

Cette reprise spectaculaire se traduit par des retombées économiques substantielles. Selon les chiffres du Ministère du Tourisme, les recettes touristiques devraient atteindre 1 250 milliards de francs CFA (environ 1,9 milliard d’euros) en 2024, soit une contribution directe de 6,8% au PIB national.

L’impact sur l’emploi s’avère tout aussi significatif. Le secteur génère actuellement plus de 100 000 emplois directs et environ 300 000 emplois indirects. « Pendant la pandémie, nous avions perdu près de 40% de nos effectifs », rappelle Mamadou Racine Sy. « Non seulement ces emplois ont été récupérés, mais nous observons une création nette de 15 000 postes depuis 2023, principalement dans les nouvelles zones touristiques comme Pointe Sarène ou le Delta du Sine Saloum. »

Cette dynamique profite particulièrement aux jeunes et aux femmes, qui représentent respectivement 60% et 45% des employés du secteur. Pour Fatou Diop, secrétaire générale du Syndicat National des Travailleurs du Tourisme et de l’Hôtellerie, « le tourisme constitue un véritable ascenseur social dans un pays où le chômage des jeunes reste préoccupant. Nous observons également une amélioration progressive des conditions de travail, avec davantage de contrats formels et une meilleure protection sociale. »

Au-delà de l’emploi, le tourisme stimule de nombreux secteurs connexes : agriculture, pêche, artisanat, transport, bâtiment et services. « Chaque franc dépensé dans l’hôtellerie génère environ trois francs dans l’économie locale », estime Abdoulaye Fall. « Les programmes d’approvisionnement local mis en place par les grands hôtels bénéficient directement aux producteurs et aux coopératives agricoles. »

Les défis d’une croissance maîtrisée

Cette croissance rapide soulève néanmoins plusieurs défis que les autorités et les professionnels s’efforcent d’anticiper. La pression sur les ressources naturelles, particulièrement l’eau douce dans les zones côtières, constitue une préoccupation majeure. « Nous avons adopté en 2023 une charte du tourisme durable qui impose des normes strictes aux nouveaux projets », indique Alioune Sarr. « Tous les établissements de plus de 50 chambres doivent désormais être équipés de stations d’épuration et de systèmes de récupération des eaux pluviales. »

La préservation de l’authenticité face à un tourisme de masse potentiel représente un autre enjeu crucial. « Nous devons éviter les erreurs commises par certaines destinations qui ont sacrifié leur identité culturelle et leur environnement sur l’autel du développement touristique », prévient Sokhna Fall, présidente de l’Association pour un Tourisme Responsable au Sénégal. « C’est particulièrement vrai en Casamance ou dans le Sine Saloum, écosystèmes fragiles déjà soumis aux effets du changement climatique. »

Pour répondre à ces préoccupations, le gouvernement a instauré des quotas de fréquentation dans les zones les plus sensibles et favorise un modèle de développement touristique inclusif. Des mécanismes de partage des bénéfices avec les communautés locales, comme la taxe de développement local ou les fonds communautaires gérés par les associations villageoises, ont été mis en place dans plusieurs régions.

La formation aux métiers du tourisme constitue un autre défi majeur face à la croissance rapide du secteur. « Nous observons un déficit de personnel qualifié, particulièrement dans l’encadrement intermédiaire », reconnaît Souleymane Ndiaye, directeur de l’École Hôtelière de Dakar. Pour combler ce manque, trois nouvelles écoles spécialisées ont été ouvertes depuis 2022 (à Saint-Louis, Ziguinchor et Saly), tandis qu’un programme de certification accélérée permet aux travailleurs expérimentés mais non diplômés de valider leurs compétences.

Enfin, la réduction de la saisonnalité demeure un objectif prioritaire. Malgré les progrès réalisés, 65% des arrivées touristiques se concentrent toujours entre novembre et avril. « Le développement du tourisme d’affaires et la valorisation de l’hivernage comme période propice à la découverte des paysages verdoyants et des traditions culturelles constituent nos principaux leviers pour équilibrer la fréquentation annuelle », explique Astou Beye.

Perspectives et ambitions pour l’avenir

Fort de ces résultats encourageants, le Sénégal affiche des ambitions élevées pour son secteur touristique. Le Plan Stratégique de Développement Touristique 2024-2035, adopté en février dernier, fixe un objectif de 3 millions de visiteurs annuels d’ici 2030, générant 2 500 milliards de francs CFA de recettes (environ 3,8 milliards d’euros).

Pour atteindre ces objectifs, plusieurs projets structurants sont en cours de réalisation. La Station Touristique Intégrée de Pointe Sarène, située à environ 100 km au sud de Dakar, représente l’investissement phare avec un budget de 180 milliards de francs CFA (environ 274 millions d’euros). Conçue selon des normes environnementales strictes, elle comprendra 12 établissements hôteliers, un palais des congrès, un golf 18 trous et un parc d’attractions thématique.

« Nous visons un positionnement premium qui nous démarque de l’offre de masse proposée par certaines destinations concurrentes », précise Alioune Sarr. « Le luxe au Sénégal ne se définit pas uniquement par le confort matériel, mais surtout par l’authenticité des expériences, la qualité des rencontres humaines et l’immersion culturelle. »

La digitalisation constitue un autre axe stratégique majeur. L’ASPT prévoit de lancer en 2025 une plateforme numérique unifiée permettant aux visiteurs de planifier leur séjour, réserver des hébergements et des activités, et obtenir des informations personnalisées. Dans le même temps, un programme d’accompagnement aide les petites structures à améliorer leur visibilité en ligne et à maîtriser les canaux de distribution numériques.

Enfin, le Sénégal ambitionne de s’imposer comme leader du tourisme durable en Afrique de l’Ouest. La certification « Sénégal Durable » a été créée pour valoriser les établissements respectant des critères environnementaux et sociaux exigeants. « Notre objectif est de certifier 50% des hébergements touristiques d’ici 2028 », indique Sokhna Fall. « Cette démarche répond aux attentes d’une clientèle de plus en plus soucieuse de l’impact de ses voyages. »

Pour Abdoulaye Fall, cette vision stratégique porte ses fruits : « Le Sénégal a su transformer l’épreuve de la pandémie en opportunité de reinvention. En privilégiant la qualité sur la quantité, la durabilité sur la rentabilité à court terme, et l’authenticité sur la standardisation, le pays se positionne idéalement sur un marché touristique mondial en pleine mutation. »

La reprise record enregistrée en 2024 ne constitue donc pas un simple retour à la normale, mais marque bien l’avènement d’un nouveau modèle touristique, plus résilient, plus inclusif et plus respectueux de l’identité sénégalaise. Comme le résume Mamadou Racine Sy : « La véritable Teranga, cette hospitalité légendaire qui fait notre réputation, ne s’improvise pas. Elle se cultive, se préserve et s’adapte aux évolutions du monde, sans jamais perdre son âme. C’est tout le sens de notre renaissance touristique. »

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